Lors de mes recherches sur la formation des élèves sages-femmes en Finistère, des pétitions adressées en préfecture par les maires insulaires m’ont fait prendre conscience de l’importance particulière que revêtait la présence d’une praticienne diplômée sur leur territoire, souvent livré aux empiriques ou au système D, faute de personnel médical disponible ou acceptant de s’installer en permanence sur une île. A travers la biographie d’Arthémise Riou, bâtie sur des archives concernant Ouessant et Molène, je rends hommage à ces femmes courageuses et volontaires qui, sorties de l’illettrisme, ont contribué au « bien-naître » des îliens.

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Arthémise Françoise Joséphine Tual pousse son premier cri à Ouessant le 14 août 1857, dans les bras de la sage-femme Marie Egyptienne Miniou épouse Le Guen, boursière du département du Finistère formée à la Maternité de Lorient et diplômée à Rennes en 1845, laquelle déclare la naissance à l’officier de l’état-civil, conformément à la loi en l’absence d’un père légal. Petite-fille du marin Paul Marie Tual et de la cultivatrice Marie Anne Forjonel, domiciliés au Bourg, et enfant naturel de leur troisième fille (sur six que compte la fratrie), Marie Margueritte Tual, cultivatrice alors âgée de vingt-neuf ans, la fillette est légitimée quatre ans plus tard par le mariage de sa mère avec le marin Louis Riou, natif de Ploubazlanec, union actée sur l’île le 30 août 1861. L’enfant porte désormais le patronyme Riou. Elle va sur ses dix ans lors du décès de son père, en avril 1868.

Arthémise aurait-elle hérité de quelques gènes de son ancêtre ariégeois, Joseph Forjonel, fils d’un bourgeois de Tarascon, maître chirurgien à l’Hôpital Saint-Louis de Chalon-sur-Saône, cinq générations plus tôt ? En 1876, soucieuse de se faire une situation et montrant probablement déjà un intérêt, voire des dispositions, pour l’assistance des femmes en couches,  elle constitue le dossier de pièces nécessaires à son admission comme élève sage-femme à la Maternité de Brest, sise au sein de l’hospice civil de la rue Saint Yves (actuelle rue Emile Zola). Adolphe Belain La Motte, chirurgien de marine et maire d’Ouessant, lui remet, début septembre 1876, un certificat précisant qu’elle est d’une bonne conduite et que sa moralité ne laisse rien à lui désirer.

Mi-septembre, sa mère, veuve et probablement analphabète, signe d’une croix l’obligatoire autorisation parentale, rédigée en ce cas par le Maire, ce qui permet à la jeune fille de participer à la sélection départementale et de rejoindre le cours d’accouchement l’année  suivante ; elle s’y forme en théorie et pratique de 1877 à 1878, sous l’égide du Docteur Jules Carof et l’autorité de la maîtresse sage-femme répétitrice, Henriette Mével épouse Roué.

A l’issue des deux années scolaires réglementaires, munie d’un certificat d’assiduité délivré par le directeur de la Maternité, elle fait partie des huit élèves de l’école d’accouchement brestoise, poussées à l’excellence par leur formateur, qui tentent d’obtenir un diplôme de première classe devant la faculté de médecine de Paris, en novembre 1878, car ce sésame est d’un meilleur niveau et permet de travailler partout en France sans devoir repasser devant un jury médical en changeant de département. Ce long déplacement pour l’époque est facilité par la ligne de chemin de fer en service depuis une douzaine d’années. En quittant la gare de Brest, les candidates pour lesquelles il représente un baptême du rail ressentent probablement un mélange d’angoisse et d’excitation. Ce voyage reste cependant réservé aux provinciales qui peuvent en faire les frais, le département ne prenant à sa charge ni le coût du transport, ni l’hébergement sur Paris, même pour les boursières. Les moins fortunées ou les moins ambitieuses se contentent donc de passer l’examen de deuxième classe à l’Ecole préparatoire de médecine de Rennes ; le succès les autorise à exercer seulement dans le département pour lequel elles se présentent.

Parmi les compagnes de voyage d’Arthémise, citons Louise Giboy, veuve de l’écrivain de la marine Gaspard Ballan, Marie Louise Péron, fille de cultivateurs aubergistes de Lambader en Plouvorn, Marie Pouliquen de la Feuillée, l’orpheline  brestoise Aurélie Le Her, Marie Josèphe Keraudren, fille de cultivateurs de Telgruc comme les sœurs Elizabeth et Marie Louise Thomas, dont la première rejoindra l’équipe de formateurs de la Maternité à l’hospice civil dès 1885, devenant répétitrice officielle de l’école deux ans plus tard et le restant durant  le premier quart du vingtième siècle sous son nom d’épouse, Daniélou.

Cette session de novembre 1878 est une réussite pour la Maternité brestoise, car les huit élèves obtiennent le droit d’exercer. Le jury se déclare bien satisfait des réponses d’Arthémise pour le premier examen portant sur la théorie des accouchements et satisfait pour le second traitant de la pratique. Elle obtient donc son diplôme de première classe.

De retour en Finistère, Arthémise ne fait enregistrer le précieux document en sous-préfecture et au greffe du tribunal de Brest que le 12 janvier 1880 et revient tout naturellement auprès de sa mère sur son île natale, territoire où une sage-femme instruite peut rendre d’immenses services à la population ouessantine, laquelle compte alors environ 2 300 âmes. Les listes officielles départementales la mentionnent dès 1881. Sage-femme de l’Assistance publique, Marie Egyptienne Miniou, qui l’a mise au monde, décède en 1882 et sa fille Elise Le Guen, également sage-femme, quatre ans plus tard. Après ces deux trépas consécutifs, c’est un soulagement pour le conseil municipal d’avoir sur ses terres une jeune brevetée capable d’assumer des fonctions d’assistance médicale, l’île ne disposant pas tout le temps des services d’un médecin.

En 1886, alors âgée de vingt-neuf ans, Arthémise convole en justes noces avec Marc Fouénant, de six ans son aîné, ancien receveur des Contributions indirectes et désormais qualifié sur les actes de propriétaire.

Le couple, domicilié à Kerland, accueille l’arrivée d’un premier fils, Auguste Bernard, le 11 avril 1887, lequel décèdera prématurément sept mois plus tard.

Arthémise et la Justice de Paix du canton d’Ouessant

Les seules archives de la justice de paix du canton d’Ouessant nous apprennent que la vie d’Arthémise fut émaillée de rencontres au prétoire. Ainsi, dès septembre de l’année 1887, les Fouénant se séparent de leur domestique, Marie Louise Françoise Léostic  femme Poulain de Ker’héré, à laquelle ils reprochent diverses escroqueries commises à leur préjudice et qu’ils décident de renvoyer après l’avoir traitée de voleuse. Alors qu’ils lui proposent une somme de quinze francs pour un mois et demi de gage,  leur employée en réclame vingt-cinq et encore cent francs à titre de dommages et intérêts, ce que le couple Fouénant refuse en audience devant le juge de paix, lequel, n’ayant pu concilier les parties, les renvoie à en pourvoir devant les juges compétents.

Après la mort de son premier-né, la sage-femme fait rapidement face à deux autres deuils rapprochés : son époux rend le dernier soupir le 14 juin 1888 et c’est donc déjà veuve qu’elle met au monde son second fils, Marc Auguste Bernard, le 28 décembre de la même année, lequel ne profitera pas des soins de son aïeule maternelle, Marie Anne Forjonel, puisqu’elle décède également quatre jours après, le premier jour de l’an 1889.

Droit d’accès au puits

En litige avec son voisin, le Sieur François Campion, marin et veuf de Marie Philomène Dupont, la sage-femme, représentant les intérêts de son fils mineur, demande à comparaître en audience de justice de paix, parce qu’on l’empêche d’accéder au puits, certes établi dans la propriété Campion depuis une soixantaine d’années, mais dont elle possède la moitié du fond et un chemin piétonnier d’un mètre de large pour s’y rendre. Le 13 octobre 1890, elle produit un acte précisant qu’elle a le droit de puiser de jour comme de nuit et demande que le voisin enlève la barrière avec laquelle il a clos le terrain. Le Juge rappelle donc au sieur Campion la servitude liée au puits, mais l’autorise à maintenir la clôture, qui évite le passage des animaux et des enfants tentés d’y jeter des pierres ou des immondices. Il donne à la veuve Fouénant un couloir d’un mètre de largeur par le nord de son aire pour atteindre le point d’eau à partir de la route charatière. En échange, Monsieur Campion reçoit le chemin est qui accédait au puits, de même largeur, mais plus long. Satisfaites, les parties arrivent à une conciliation, ce qui règle un problème vital pour la sage-femme.

Bornement de communauté et subrogé-tutelle

Quatre mois plus tard, le 10 février 1891, à neuf heures et demie du matin, Arthémise comparaît à nouveau au prétoire, sis dans l’hôtel de la mairie, devant Alexandre Bolloré, Juge de paix. Etant la tutrice légale et naturelle de son fils depuis le décès de son époux et devant se conformer aux dispositions des articles 1442 et autres du code civil, elle se propose de faire procéder à l’inventaire des meubles et effets mobiliers dépendant tant de la succession de son défunt mari que de la communauté qui a existé entre elle et lui. Voilà une formalité qui sent le remariage ! Avant tout, un subrogé-tuteur doit être désigné et le conseil de famille a été convoqué en ce sens. Après délibération, un cousin germain du père, Christophe Berthelé, guetteur au sémaphore du Créach, est nommé subrogé-tuteur du mineur. Dès treize heures trente le même jour, Maître Pierre Bernard, Greffier de paix, assisté de deux témoins, procède à l’inventaire des biens.

Et a, la comparante, signé sa requête.

Maintien de la tutelle à la mère

Le 3 mars de la même année, le conseil de famille se réunit à nouveau, pour discuter du maintien de la tutelle à Arthémise, car elle désire effectivement convoler en secondes noces avec Nicolas Marie Vigouroux, âgé de vingt-quatre ans et donc de neuf années son cadet,  marin natif de Lambézellec et domicilié à Toul al Land à Ouessant avec ses parents. Engagé volontaire en 1882 pour une période de cinq ans aux Equipages de la Flotte, il est ensuite versé dans la réserve de l’armée de mer et inscrit maritime au Conquet en juin 1887. Attendu que la veuve Fouénant a rempli ses obligations légales, que son administration paraît sage et prudente, qu’elle a constamment manifesté de la tendresse pour son fils et s’est conduite en bonne mère, que la personne qu’elle se propose d’épouser inspire de la confiance, le conseil décide de la maintenir dans la tutelle de son enfant mineur pendant son futur mariage et lui adjoint comme cotuteur son promis, Nicolas Marie Vigouroux.

La noce a lieu deux jours plus tard, le 5 mars 1891, à Ouessant. Ce nouveau couple n’aura pas de descendance. Au recensement de 1891, il a à son service une adolescente de quinze ans, Marie Le Duff ; le petit Marc Fouénant est alors un bambin de deux ans.

Succession de la veuve Coppin, tante maternelle d’Arthémise.

Demeurant à Brest, Nicolas Vigouroux, mandataire du greffier de justice de paix d’Ouessant, se présente, le 7 septembre 1892, au bureau de l’Enregistrement à Brest pour informer de la vente publique, par adjudication et aux enchères, des meubles et effets mobiliers dépendants de la succession de la tante maternelle d’Arthémise, Marie Jeanne Tual, veuve du maître en cabotage Louis Coppin, commerçante domiciliée au bourg, dans la petite rue allant de la place de l’église de Lampaul au village de Penacharmeïn. Lors de l’apposition des scellés au domicile de la défunte, Marie Françoise Tual veuve Cozan et Arthémise, respectivement soeur et nièce de la décédée, ont demandé de laisser à leur disposition six litres de vins, deux litres d’eau-de-vie et des bouteilles de bière. La vente mobilière est annoncée à l’issue des offices divins du dimanche et par son de caisse, avant sa tenue le lundi 19 septembre à une heure de l’après-midi et jusqu’à six heures du soir, à la requête des trois héritières, notre sage-femme et ses deux autres tantes maternelles, Marie Françoise déjà citée et Marie Josèphe Tual, célibataire et couturière. François Le Guen, secrétaire de Mairie, et Félix Hunault, garde-champêtre, assistent Maître Bernard.

Intéressée par certains articles, Arthémise achète elle-même pour quelques francs deux plats et une boîte, chaudières et pots, un octant, cadres et marteaux, un fauteuil et un matelas en plumes. Le produit de la vente s’élève à 455,80 francs, et les trois femmes reçoivent le 22 septembre, déduction faite des divers frais liés à la vente, une somme globale de 436,85 francs. Seule la sage-femme signe les divers procès-verbaux concernant cette succession, de la mise en place des liefs de scellés au domicile de sa tante le jour de son décès jusqu’à celui de la vente.

Brest, Le Conquet, accident de tramway

Après son second mariage, Arthémise exerce un temps à Recouvrance où elle est domiciliée au 13 rue d’Armorique en 1895.

3Fi114-020 Archives Municipales de Brest

Puis le couple élit domicile au Conquet en 1905, où plusieurs actes d’état-civil mentionnent Madame Vigouroux, sage-femme. Nicolas, son époux, est dit receveur des tramways du Conquet dans un article de presse. L’après-midi du 6 juin 1905, Arthémise se trouve avec lui dans le tramway sur la ligne de Saint Pierre Quilbignon à Recouvrance, lorsque l’engin, transportant une quinzaine de personnes, commence à s’emballer après l’arrêt des Quatre Moulins. Frein à main, freins magnétiques et à air ne fonctionnent pas et le véhicule, surnommé le péril jaune, descend à une allure vertigineuse la côte rapide des Quatre Moulins, passe comme une flèche la porte du Conquet et continue sa course folle sur les pavés et le trottoir, cassant et traînant sur une centaine de mètres un marronnier situé à hauteur du 81 de la rue de la Porte, abattant toutes les branches sur son passage et s’enfourchant dans le mur longeant la rue Lapérouse, en contrebas d’une dizaine de mètres, barrant ainsi l’accès à l’escalier donnant dans ladite rue.

C’est un miracle que le tramway n’y soit pas tombé : les passagers seraient probablement tous décédés. Nicolas Vigouroux s’en tire avec une blessure au front. Madame Vigouroux, dite sage-femme au Conquet, est citée parmi les blessés, sans plus de précision.

La Dépêche de Brest, 07/06/1905.

Est-ce d’avoir frôlé la mort sur le continent qui la pousse à rejoindre son île ?

Ouessant à nouveau

On la retrouve seule avec son fils dès 1906 dans les recensements d’Ouessant. Elle signe A. Vigouroux née Riou s.f. sur les registres de naissances de l’île du début du 20ème siècle :

Marc Fouénant fils répond aux impératifs de la classe de 1908 et rejoint le 48ème Régiment d’Infanterie de Guingamp en août 1909. De soldat de deuxième classe, il passe caporal dès 1910.

1R1397, AD D9, extrait.

Digression sur le besoin de sage-femme de l’île Molène

Certaines sages-femmes, et en particulier quand elles exercent sur une île, semblent avoir une force mentale et une capacité de résistance hors du commun face au danger de mort.

Avant de s’intéresser à Arthémise, la presse spécialisée rend hommage à Marie Anne Evanno épouse Kerambloch, installée à Molène après avoir exercé à Ploudalmézeau, et qui s’avère être de la même trempe que sa voisine ouessantine dont nous découvrirons plus loin les exploits. Madame Kerambloch sauve, en effet, la vie d’une mère dans les douleurs de l’enfantement, en demandant au courageux équipage du canot de sauvetage Emile Roussin de la conduire au Conquet, pour y trouver l’assistance d’un médecin, en l’occurrence le Docteur Henri Pethiot, et ce malgré la tempête sévissant dans la nuit du 20 au 21 février 1900. La naissance de l’enfant mort-né le 20 est enregistrée à l’état-civil en mairie du Conquet, comme le décès le lendemain, en présence du père. De sexe masculin, le quatrième enfant du couple formé par le pêcheur Marcien Cuillandre et son épouse Marie Toussaint Rocher ne fut pas prénommé. Grâce à la sagacité de la sage-femme qui a su reconnaître l’urgence vitale, la mère semble ne pas avoir eu de séquelles physiques de ce drame, car elle enfantera encore à dix reprises ensuite. Le père sera maire de Molène de 1923 à 1925 et décèdera à la Toussaint 1941, son épouse en juin suivant.

Arthémise et Molène

Nous allons le voir, notre ouessantine n’a rien à envier à la molénaise d’adoption sur le plan du courage. De nombreux articles de journaux rappellent d’ailleurs ses exploits. Dans la nuit du 8 au 9 août 1910, l’édile molénais adresse à Arthémise une demande télégraphique de secours. Elle fait répondre qu’on vienne la chercher au point le plus rapproché et embarque à deux heures du matin, dans un petit bateau de pêche longtemps attendu, pour porter secours sur l’île Molène à deux femmes enceintes dont l’état inquiète. La sage-femme ignore-t-elle alors qu’il ne s’agira pas encore de gérer des naissances ? Grande marée et brume intense rendent la navigation quasi-impossible. D’ailleurs, la flotte ouessantine est en relâche par sécurité.

Alors âgée de cinquante-trois ans et souffrant du mal de mer qui, à lui seul, aurait pu la faire renoncer à ce périple, et malgré l’avis d’un pilote et de patrons de navires qui tentent de l’en dissuader, Arthémise embarque à la grâce de Dieu, écrit-elle. Pendant six heures, les voilà, accoucheuse et équipage, égarés parmi les récifs qui ceinturent Ouessant par le sud, faisant la navette d’est en ouest, sans pouvoir gagner ni traverser le fort courant du Fromveur, exposés à chaque instant à être brisés ou chavirés, enveloppés dans une brume d’un noir d’encre.

Enfin, vers huit heures du matin, après avoir été pendant six heures en face de la mort, et d’une mort plus horrible que la guillotine, qui, elle, permet les adieux et rend les cadavres, précise-t-elle,la brume descend un peu, la marée devient favorable et le bateau finit par accoster à Molène à onze heures, un dimanche après la messe. Les six cents habitants, inquiets à juste titre, accourent au quai et font une ovation aux arrivants.

Je crois qu’en la circonstance, ce qui m’a sauvée de la mort par épouvante, écrit Arthémise, c’est mon habitude de me dominer en face des plus grands dangers. L’équipage s’étonnera d’ailleurs de ne l’avoir vue émettre cri ou plainte.

Il fallait toute l’énergie du désespoir d’un mari, ou la notion stricte du devoir professionnel tel qu’il existe chez quelques trop rares sujets, pour tenter une pareille prouesse, commentera plus tard un rédacteur de la Dépêche de Brest.

Reconnaissante, la population molénaise demande à cet organe de presse d’insérer une lettre d’éloges au courage et à la noble attitude d’Arthémise, qu’aucun engagement officiel n’oblige à affronter ces dangers pour ses voisins îliens, courrier qui paraît dans l’édition du 28 octobre 1910. Molène en profite pour rappeler ainsi publiquement aux autorités départementales l’état d’abandon sanitaire dans lequel elle se trouve, étant dépourvue de sage-femme depuis le décès, le 4 mars 1910, d’Anna Kerambloch née Evanno qui y officiait depuis 1898. Dès l’hospitalisation de celle-ci, le maire a pourtant adressé en préfecture un télégramme pour obtenir rapidement une remplaçante.

Une plume anonyme, qui se dit ami des îliens de Molène, surenchérit d’ailleurs, toujours fin octobre 1910 dans la presse, en rappelant l’obligation des élèves boursières du cours départemental d’accouchement d’exercer pendant cinq ans dans une commune dépourvue de sage-femme, en contrepartie de la gratuité des cours et du logement pendant leurs deux années d’études. Plusieurs journaux, comme le Petit Parisien du 15 juillet 1910, relaient en écho la demande de secours médical de l’île Molène envoyée au sous-préfet de Brest, M. Fontanes : Plusieurs d’entre nous ont dû expédier sur le continent leur femme sur le point de devenir mère. Il en résulte que notre foyer est désert et que nos autres enfants sont privés des soins les plus élémentaires. Ce sera chose entendue en 1911, avec la nomination d’Anna Jeanne Nédélec épouse Chapalain, diplômée en juillet 1910. Sept ans plus tard, le Conseil général du Finistère accorde à cette sage-femme une subvention de 600 francs au lieu de 400, pour habiter ce site enchanteur et aider à son repeuplement. Elle exercera à Molène jusqu’à sa mort en 1925.

La Dépêche de Brest, 21/06/1922.

Pendant quatorze ans, Arthémise sera donc libérée de son « bénévolat solidaire» sur ce territoire voisin. Malgré une santé devenue chancelante, la ouessantine se rend de nouveau à Molène le 17 décembre 1926, par une mer démontée, pour porter assistance aux malades.

La sage-femme Lucie Le Gac veuve Menguy, domiciliée un temps à Molène, y exercera ensuite de 1929 à 1932.

Arthémise et ses décorations

Arthémise la ouessantine se voit décerner la médaille de bronze de l’Assistance Publique en 1911, pour les services exceptionnels rendus.

Etant momentanément en résidence au numéro 2 de la rue au Blé à Guingamp (peut-être pour se rapprocher de son cher fils ou pour le soigner), la décoration est adressée par le préfet du Finistère à son confrère de Saint-Brieuc qui en accuse réception le 22 mars, pour remise à l’intéressée qui reçoit, on l’imagine, avec fierté cette première distinction honorifique.


Envoyé en congés en septembre 1911 avec un certificat de bonne conduite, son fils Marc est classé non disponible des Contributions indirectes comme commis à Saint-Lô dans la Manche, à compter du 3 avril 1913, suivant ainsi la voie professionnelle de son père décédé. Arthémise se retrouve donc seule au Bourg de Lampaul.

En effet, le couple Vigouroux-Riou semble vivre séparément depuis quelques années déjà lorsque l’avoué G. Fournier, exerçant au 27 rue Emile Zola à Brest, fait publier, dans l’édition du 21 mai 1913 de la Dépêche de Brest, un avis concernant le jugement rendu contradictoirement par le Tribunal civil de Brest, en date du 26 septembre 1912, prononçant  la séparation de corps des époux, au profit de la femme et aux torts du mari. Elle est alors domiciliée au bourg de Lampaul, lui, quartier-maître en retraite de la marine, demeure au 25 rue Bugeaud à Brest.

Réformé n° 2 en 1914 pour bronchite spécifique, le jeune Marc Fouénant décède à Saint-Lô le 30 octobre de la même année, dans sa vingt-sixième année, éteignant ainsi les probables espoirs de descendance de sa mère. Quelques mois plus tard, répondant à une demande parue dans la Dépêche de Brest pour procurer aux marins de l’Yser des instruments de musique militaire afin de monter un orchestre, Arthémise fait don d’un piston de tout premier choix, en souvenir de son défunt fils, sergent de réserve au 48ème régiment de ligne.

A la demande de son second époux, Nicolas Vigouroux, alors domicilié 50 rue du Môle à Douarnenez, dont elle est séparée de corps depuis la Noël 1912, le divorce est prononcé en 1916 par le tribunal civil de Brest et transcrit à l’état-civil d’Ouessant l’année suivante.

En 1917, un problème de santé oblige Arthémise à s’aliter trois semaines, elle ne se doute pas qu’elle va devoir se défendre devant la justice de paix dans une audience le 3 août, face à une commerçante de l’île, Barbe Berthelé veuve de Jean Marie Malgorn, qui est aussi sa voisine à Penaguear et qui la fait comparaître pour lui réclamer quarante francs pour des soins qu’elle affirme lui avoir donnés pendant sa maladie et calculée sur la base de deux francs par jour sur vingt jours. Arthémise s’en étonne, les services rendus par ladite Barbe s’étant, selon elle, bornés à trois courses dans le bourg pour appeler le docteur et prendre son courrier, courses dont elle l’a rémunérée. Trois témoins abondent dans le sens de la voisine, et quatre autres proches voisins de l’accoucheuse rapportent au juge ne pas avoir rencontré ladite Berthelé lors de leurs visites chez la malade en janvier et février. Madame Célestin Tual précise l’avoir elle-même soigné quelque temps sans jamais voir la demanderesse au chevet de l’alitée. Aucune preuve de contrat ou louage de services n’étant faite, la plainte de la veuve Malgorn est jugée irrecevable par le juge Louis Albert Le Baron, qui la soupçonne même d’user de ce stratagème pour récupérer les quarante francs qu’elle a dû verser à l’accoucheuse dans une affaire récente. On le voit à cette affaire, notre sage-femme n’a pas que des amis sur l’île.

Arthémise ne sera pas toujours la seule praticienne en activité en ce lieu : une autre diplômée assurera également officiellement le suivi des femmes en couches pour l’Assistance publique. Marie Yvonne Reun, native de Brélès et épouse du pêcheur Kervarec, exercera à Ouessant de 1892 à 1902, et sera remplacée par la plouguernéenne Marie Jeanne Maguet épouse du forgeron Kerhornou, qui n’y restera que de 1904 à 1908. Suivra la ouessantine Marie Martine Cozan, mentionnée dans les listes du personnel médical de l’annuaire départemental. Toutes furent élèves de l’école de Maternité de Brest. La dernière citée, veuve du marin Yves Marie Malgorn, épouse en secondes noces le sergent d’infanterie coloniale Roger Masson et exerce sur l’île depuis l’obtention de son diplôme à Rennes en 1906. On le voit dans les deux listes de descendances ci-dessous la concernant, Marie Martine Cozan choisit cette profession après son mariage avec un fils et petit-fils de sage-femme ; elle a aussi un frère gardien de phare dont la fille, Michelle Cozan épouse Pédel, sera également sage-femme, mais à Plabennec.


La décision de Marie Martine Cozan Masson de démissionner inopinément et sans justification de ses fonctions le 23 décembre 1919 laisse dans l’angoisse les proches de la vingtaine de femmes en couches dont on attend la délivrance dans le mois à venir. Agée de soixante-deux ans et bien que déjà fatiguée par quatre décennies d’exercice et ayant besoin de repos, Arthémise répond positivement à la demande d’aide de la municipalité et met immédiatement sa haute capacité professionnelle et son entier dévouement à la disposition de la population. Elle préserve ainsi de la mort des femmes et des enfants en besoin d’assistance médicale. Et le Conseil municipal de l’île, dans sa délibération du 1er février 1920, estimant que sa conduite au-dessus de tout éloge mérite d’être récompensée, lui adresse ses plus vifs remerciements pour son zèle et son dévouement. Bilan fait, Arthémise aurait procédé seule à vingt-neuf accouchements pendant la saison rigoureuse du premier trimestre 1920, un record pour l’île. Mieux encore, en trois jours et trois nuits sans sommeil, elle aurait accueilli dans ses bras bienveillants quatre enfants, dont un couple de jumeaux. Les élus reconnaissants prient le préfet de la proposer pour une distinction honorifique de l’Instruction publique. L’édile Paul Caïn lui-même se sent personnellement concerné puisque l’accouchement de son épouse, le 29 mars, clôt cette succession de naissances sur les trois premiers mois de l’année.

L’assistance, de jour comme de nuit, n’est pas sans danger. Dans la nuit du 13 au 14 juillet 1920, en revenant de donner ses soins à une indigente assistée de Kerc’héré, Arthémise est victime dans l’obscurité d’une chute sur un tas de pierres, qui lui occasionne une impotence partielle de la jambe gauche.

Le 20 mars 1922, le médecin ayant été appelé auprès d’une autre parturiente, elle se rend vers minuit au chevet de Madame Malgorn de Ty Crann, marchant  plus de trois kilomètres par un vent glacial et sous la neige pour procéder à l’accouchement. Le lendemain, on lui diagnostique une congestion pulmonaire double, qui la cloue au lit pour trois mois.

Il est inscrit dans le registre de délibérations municipales qu’en l’absence d’un médecin sur une période de huit mois, Arthémise a  procédé seule à des cas très graves et sans aucune complication. Estimant que les services rendus par la sage-femme sont probablement uniques en France et méritent une récompense supérieure à celle déjà obtenue onze ans plus tôt, le Conseil demande au préfet de la proposer pour la médaille d’or de l’Assistance publique et la distinction honorifique de l’Instruction Publique. Réservée aux membres de l’enseignement, cette dernière ne peut lui être accordée, ce qui n’enlève rien à la motivation de l’accoucheuse sur le terrain, car elle continue à prodiguer ses soins avec le zèle et le dévouement qui lui sont habituels. Cela est d’autant plus méritoire que sa fortune personnelle lui permet de subvenir largement à ses besoins, de se reposer et d’assurer les soins nécessités par son état de santé, précaire depuis sa congestion, souligne le Maire.

Le 31 juillet 1922, la mort à l’âge de cinquante-six ans à Goubars de son second mari, Nicolas Marie Vigouroux, marin retraité dont elle a divorcé six ans plus tôt, tourne définitivement la page de cet échec conjugal.

Très estimée des îliens, la sage-femme est mise à l’honneur dans la presse. L’édition du 10 décembre 1922 de la Sage-femme, organe officiel du Syndicat des sages-femmes de France, publie la belle lettre dans laquelle elle raconte elle-même les dangers encourus lors de son déplacement relaté plus haut à Molène en août 1910. La présidente du Syndicat, Lina Roger, (qui succède à sa mère Marie Bocquillet-Roger, descendante d’une branche Bocquillet-Limousin de Recouvrance et Saint-Pierre-Quilbignon et directrice du journal La Sage-Femme) avise le maire d’Ouessant de la sollicitation officielle de la Légion d’Honneur pour Arthémise, votée à l’unanimité des membres, pour services exceptionnels rendus à la cause de la natalité, et souvent au péril de sa vie.

Dans son édition du 31 mars 1923, le Progrès du Finistère mentionne l’obtention par notre ouessantine de la médaille d’argent de l’Assistance publique, qui lui est conférée par arrêté du 7 mars (Journal officiel du 10/03/1923).

Considérant que la médaille d’argent de l’Assistance publique n’est pas suffisante pour récompenser son mérite et s’appuyant sur la position du Syndicat des Sages-Femmes de France, le Conseil municipal d’Ouessant réitère sa demande de Croix de la Légion d’Honneur au préfet par délibération du 2 avril 1923. La Légion d’Honneur est quelquefois accordée pour un acte de dévouement qui ne dure que quelques instants ; le dévouement de Mme Riou est constant, sa conduite est au-dessus de tout éloge et une récompense si haute soit-elle sera toujours au-dessous de ses mérites et les services qu’elle a rendus sont probablement uniques en France, expose le Maire, Paul Caïn.

L’édition de la Dépêche de Brest du 29 août 1924 rappelle que la mission d’assistance d’Arthémise n’est pas une sinécure sur cette île, où l’on procrée beaucoup, où le salaire est maigre, le médecin quelquefois inexistant, les routes rendues dangereuses par les effroyables bourrasques de l’hiver. Et le journal précise qu’après la guerre, déjà âgée et ayant restreint sa clientèle, Arthémise suppléa au médecin, pas encore démobilisé, et à la défaillance de la sage-femme de l’Assistance publique.

Ce que fit aussi la vaillante mais nettement plus jeune Marie Milin à Ploudalmézeau, comme probablement d’autres sages-femmes de l’Assistance publique en Finistère, confrontées à l’absence du personnel de santé mobilisé. Décédée en 1918 des suites d’une chute provoquée par un accident de charrette en se rendant au domicile d’une parturiente et donc victime du devoir comme l’indique une plaque sur sa tombe au cimetière du bourg, la ploudalmézienne recevra d’ailleurs une forme de reconnaissance posthume par l’attribution d’une rue à son nom,  à la demande de la population fidèle à son souvenir. La plaque de rue renouvelée dernièrement serait la seule dans le Finistère à préciser qu’il s’agit d’une sage-femme.

La première guerre mondiale et ses suites font chuter la courbe démographique de l’île jusqu’à 2 586 âmes en 1921, alors qu’elle en comptait 2 953  selon le recensement de 1911. A Ouessant, la mission d’assistance de la vieillissante mais courageuse et fière Arthémise s’allège. Se sent-elle cependant toujours indispensable ou a-t-elle simplement du mal à  laisser les parturientes à des mains moins expérimentées, source potentielle d’accidents ? Elle écrit au préfet en août 1925 pour s’inquiéter de l’installation d’une nouvelle diplômée issue de la Maternité de Brest, Marie Christine Bardon, native de Guipavas. Elève non boursière du département et donc libre de se fixer où bon lui chante, même dans une commune déjà pourvue de praticienne, selon la réponse qui lui est adressée par l’administration, cette nouvelle sage-femme, fille d’une courtière née à Bougival recensée à Ouessant en 1921, est la future épouse du cafetier Jean Malgorn. Il est de l’intérêt de la population de penser à la succession de l’aînée, dont les ennuis de santé récurrents laissent présager une incapacité à continuer encore longtemps sa mission, malgré son apparente volonté de l’assurer jusqu’au bout de ses forces.

Après quarante-sept années de fonction et alors qu’Arthémise compte soixante-huit printemps, le Conseil municipal ouessantin, toujours sous la houlette de Paul Caïn, rédige, dans sa séance du 22 novembre 1925, une nouvelle demande de récompense pour elle, la tant attendue Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. Il renouvelle son éloge l’année suivante dans un certificat précisant : très méritante, une récompense si haute soit-elle sera toujours au dessous de ses mérites.

L’été 1927, la voilà septuagénaire. Le 25 août, la Dépêche de Brest avance trois mille accouchements effectués par elle, tant à Ouessant qu’à Molène et rappelle qu’on a sollicité pour elle la médaille d’or de l’Assistance publique, récompense qui lui est finalement attribuée en 1928. Une fierté pour la population îlienne reconnaissante et aussi pour celle qui l’a gagnée au péril de sa vie et de sa santé.

La Dépêche de Brest, 18/03/1928.
Revue des établissements de bienfaisance, Gallica, Bnf.

Voilà donc Arthémise titulaire de trois médailles de l’Assistance publique (de bronze en 1911, d’argent en 1923 et d’or en 1928), décorations qu’elle arbore fièrement le 3 septembre 1928, lors des noces de Charles Cornen, fils de l’adjoint au maire Yves Cornen, et de Suzanne Coquet, fille d’un lieutenant d’infanterie coloniale en retraite, fête qui réunit dans le café du port pas moins de cent-quatre-vingts convives. A cette occasion, dans son édition du 9 septembre, la Dépêche de Brest la qualifie de vénérable sage-femme d’Ouessant, expression respectueuse que j’ai reprise dans le titre de cet article.

Cinq ans plus tard, en 1933, Arthémise se voit attribuer la médaille d’argent de première classe, au titre de la Protection des enfants du premier âge, à l’âge de soixante-seize ans. Adolphe Belain La Motte, membre de la Commission administrative et ancien élu municipal, lui rend à nouveau hommage  dans l’édition du 24 août 1933 de la Dépêche de Brest. Il avance que ses conseils éclairés aux mères de famille et sa constante surveillance auraient permis de ramener la mortalité infantile à une proportion normale.

La Dépêche de Brest, 24/08/1933.

Mais les distinctions octroyées à cette praticienne dévouée ne paraissent toujours pas suffisantes à ses contemporains pour les services qu’elle rend à l’humanité, au risque de sa vie. Dans un reportage sur Ouessant en 1934 pour La Bretagne à Paris, Louis Beaufrère rend hommage à ces habitantes de l’Ile d’Epouvante qui prêtent main forte aux sauvetages, pratiquent la pêche et la culture. Parmi ces femmes, une en particulier retient l’attention du chroniqueur : Madame Fouénant Riou, qui y exerce comme sage-femme depuis cinquante-quatre ans et qui, malgré ses soixante-seize ans, montre la même juvénile ardeur à remplir sa mission. Comme d’autres avant lui, il espère qu’un parlementaire breton fasse entendre avec insistance sa voix pour que le ruban rouge vienne rapidement fleurir sur ce cœur désintéressé qui s’est toujours si totalement donné à ses semblables.

Arthémise lui aurait déclaré avec fierté avoir reçu plus de quatre mille enfants et c’est donc entre ses bras que nombre d’ouessantins auraient poussé leur premier cri. Aussi les îliens font-ils preuve d’un respect attendri et filial pour celle qui, de jour comme de nuit, depuis des décennies, quel que soit le temps, court au chevet des femmes en couches, risquant la chute sur des sentiers boueux après la pluie et à l’empierrement souvent instable.

Le territoire d’action d’Arthémise Riou ne se limite pas aux frontières ouessantines, il s’égrène sur l’Ile Molène et le chapelet d’ilots autour : Bannec, Balanec, Triélen, Lédénès, Quéménès, Béniguet. On ne compte plus ses sorties sur une simple barque de pêche, à travers les écueils, dans des tempêtes terribles, pour délivrer des mères qui, sans son intervention, seraient mortes avec leur enfant. C’est cette notion de danger encouru via le transport maritime dans l’exercice de sa mission qui met en avant le cran de la praticienne, laquelle y montre plus de courage que certains hommes, malgré la naupathie dont elle souffre.

A découvrir sur molène.fr

Dernier soupir

Recensée depuis 1931 à Penaguéar et presque octogénaire, la respectable vieille dame rend son dernier souffle dans sa maison le 31 mai 1937, avec sans doute la plus pure des satisfactions, celle du devoir accompli. Marie Anne Cozan, veuve Suignard, sa voisine, en sa qualité d’héritière dans la lignée maternelle Tual, demande à la justice de paix de procéder dans les délais les plus courts à l’apposition des scellés sur les meubles, valeurs et effets mobiliers dépendant de la succession de la défunte. Dès neuf heures et jusqu’à midi, les représentants de la justice s’activent pour la pose des scellés au domicile d’Arthémise, en compagnie de la veuve Suignard et de sa sœur Cozan veuve Bon, de Kergadou, les deux cousines germaines de la décédée, et en présence de Thomas Guédès, garde-champêtre domicilié à Lanvian.

Procédant à l’inventaire, ils découvrent au premier étage, dans la chambre bout ouest donnant jour au nord et au sud, un lit sur lequel repose le corps de la défunte. Sur demande des requérants voulant récupérer des vêtements pour l’habiller, on ouvre l’armoire à l’aide d’une clef cachée dans un petit vase sur la cheminée et, en y prenant le linge nécessaire, on trouve une enveloppe jaune fermée portant l’inscription « Ceci est mon testament » signée A. Riou et paraphée au verso A.R.

Dans l’armoire de la chambre d’Arthémise, l’inventaire cite une boîte contenant une petite montre en or, divers objets sans valeur et papiers. La pièce accueille deux tables à toilette, cinq chaises, une lampe, une glace, cinq cadres. Une autre chambre est garnie d’un lit en fer, une table de nuit, une table de toilette, une armoire contenant du linge sale, une table, cinq cadres. Au rez-de-chaussée, on énumère un buffet contenant la série complète de mesures, une vierge sous globe, une théière, un sucrier, huit tasses avec soucoupe, une cafetière en faïence, deux pots de fleurs, dix cadres, une glace, deux lampes, sept assiettes accrochées au mur, quatre chaises, un autre buffet contenant six assiettes, une soupière, six verres, deux fauteuils en mauvais état, une table, un vieux lit pliant, un réchaud à pétrole, une scie, une lampe, deux garde-mangers, un banc coffre avec balance et ses poids, un fer à repasser, un moulin à café, trois cafetières, deux bols, un vase, et deux cadres. Le tout dit en mauvais état.

Le garde-champêtre se voit confier la clef extérieure et les scellés sont posés.

Le Petit Breton, 20/06/1937.

Le testament sera déposé au tribunal civil de Brest le 3 juin à dix heures. Pourtant intimées de s’y trouver, les parties présentes à la pose des scellés ne s’y déplaceront pas. Peut-être savent-elles déjà ce qu’il contient.

Il s’avère en effet que Jean Marie Quinquis, né sur l’île le 12 août 1877, ancien second-maître mécanicien devenu Greffier de la Justice de Paix du canton d’Ouessant, époux d’Angéline Stéphan, est le légataire d’Arthémise Riou, en vertu d’un testament olographe déposé au rang des minutes de Maître Le Poncin, notaire à Brest, et d’une ordonnance délivrée par le Président du Tribunal civil de Brest en date du 3 juin. Le 3 juillet 1937, Jean Marie Quinquis demande la levée des scellés des biens composant la succession, ce qui est fait le jour même, avec remise des clefs au nouveau propriétaire à onze heures du matin.

Le couple Quinquis n’en jouira pas longtemps, car Jean Marie décède quatre ans plus tard à Ouessant, le 27 juin 1941, à l’âge de soixante-trois ans, un an avant sa veuve, Angéline Stéphan, dont les obsèques ont lieu le 30 juillet 1942.

Recensement Ouessant, 1936.

La vénérable Arthémise Riou est inhumée à Ouessant, dans la même sépulture que son premier époux, Marc Auguste Fouénant, et auprès de leurs deux fils.

Si vous passez sur l’île des femmes, n’hésitez pas à aller la saluer de ma part au cimetière de Lampaul ! Tout au long de mes recherches sur ses traces, elle n’a cessé de me faire des clins d’œil au gré de découvertes inattendues dans les archives, ravie sans doute qu’on ne l’oublie pas, elle dont la mémoire ne peut être entretenue par les siens, en l’absence de descendance. A l’arrière de la tombe, se trouve le petit cénotaphe, construit en 1865 pour abriter les croix de proella (les photographies sont l’oeuvre d’André Miniou).

Sépulture famille FOUENANT RIOU, cimetière d’Ouessant, par André MINIOU.
Plaque sur la sépulture de la famille FOUENANT RIOU, cimetière d’Ouessant, par André MINIOU.

Elle mentionne les deux fils d’Arthémise RIOU et de son premier époux FOUENANT :

Auguste Bernard FOUENANT

8 9bre 1887 7 mois

Marc Auguste Bernard FOUENANT

Commis des Contributions Indirectes

décédé à St Lô le 30 8bre 1914

à l’âge de 26 ans.

Le dévouement d’Arthémise Riou aux îliens ne mériterait-il pas l’apposition d’une notice historique consultable par le visiteur non initié ? Cet article pourra peut-être y contribuer.

Ouessant, cimetière.
Marie Miniou
(née en 1904 à Ouessant,
source André Miniou)
D’après une carte postale retravaillée.

Faute de photographie d’Arthémise, faisons un petit clin d’oeil à Rose Héré, une autre ouessantine, qui fit preuve d’un grand courage, d’ailleurs largement célébré dans la presse nationale, en sauvant quatorze marins en mal de perdition lors du naufrage du vapeur Vesper la nuit de la Toussaint 1903. Ce noble geste fut reconnu et récompensé par plusieurs sociétés de bienfaisance, qui lui attribuèrent une dizaine de décorations. Rose repose également au cimetière d’Ouessant. Une certaine presse écrivit qu’elle demanda à être inhumée avec ses médailles. Certaines sont heureusement conservées par la famille :

Montage d’après les photographies de médailles et cartes postales anciennes d’André Miniou,
avec son aimable autorisation.

Il serait possible que les récompenses honorifiques attribuées à Rose Héré aient influé sur les demandes répétées des îliens concernant la reconnaissance des mérites d’Arthémise Riou.


Sources :

Presse ancienne, Gallica, dont La Sage-femme et le Puériculteur.

Archives numérisées de la Dépêche de Brest et de l’Ouest-Eclair.

Archives départementales 29, presse numérisée, Justice de Paix du canton d’Ouessant.

Archives nationales.

Sages-femmes du Finistère, 2017 et ses nombreuses sources.

Archives municipales de la ville de Brest.

http://www.france-phaleristique.com/medaille_honneur_assistance_publique.htm 

wikipedia pour Rose Héré

Remerciements à la mairie d’Ouessant pour transmission d’extraits de délibérations du conseil municipal et des photos de la sépulture.

Remerciements à André Miniou pour ses photographies.

Remerciements à Loïc Malgorn pour son très intéressant travail de collectage présenté sur ouessant.e-monsite.com

Remerciements également à : https://molene.fr/histoire/histoire-de-molene.html.

Pour illustrer mon propos, j’ai emprunté sur ces deux derniers cités quelques illustrations et extraits d’iconographies que j’ai parfois adaptés.